Le CHP, principal parti d’opposition turc, est aujourd’hui à la croisée des chemins.
Plusieurs éléments majeurs viennent structurer le contexte dans lequel s’inscrivent ses mobilisations.Une offensive judiciaire et administrative cibléeDepuis fin 2024‑2025, les autorités turques ont multiplié les opérations dirigées contre des élus et cadres du CHP : arrestations, mises en détention, destitutions de maires, suspension de sections provinciales. Ces mesures sont interprétées par l’opposition comme une instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Par exemple, un grand nombre de maires CHP ont été inculpés ou détenus dans le cadre d’accusations de corruption ou de liens avec le terrorisme, accusations que le parti juge fabriquées. Le parti a clairement formulé l’idée que les institutions judiciaires et administratives ne sont plus neutres mais servent une logique d’élimination de l’opposition. Le rôle et la figure d’Ekrem İmamoğlu Le maire d’Istanbul, İmamoğlu, est devenu le visage de la mobilisation d’opposition. Arrêté en mars 2025 pour des accusations jugées politiquement motivées, il est également désigné candidat présidentiel du CHP pour 2028. Son arrestation a provoqué une forte réaction populaire et un regain d’activisme de l’opposition, au moment même où le parti cherche à élargir sa base électorale et à capitaliser sur une montée du mécontentement social. Des enjeux électoraux réorganisés.
Le CHP est confronté à deux défis majeurs : maintenir sa légitimité face aux accusations de radicalisation ou de mobilisation purement protestataire, et réussir à convertir cette mobilisation en dynamique électorale efficace. Un article observait que « le CHP joue davantage la carte de la confrontation permanente que celle du débat rationnel d’idées ». Par ailleurs, la recomposition des alliances politiques en Turquie (notamment la normalisation politique autour du parti kurde DEM Partisi) fragilise certaines bases traditionnelles du CHP. —Le meeting : moment-clef du message politiqueLe parti a organisé, dans des villes parfois considérées comme des bastions du parti au pouvoir, des meetings de grande ampleur. Voici quelques éléments significatifs.Exemple : le meeting de KonyaDans la ville de Konya – traditionnel bastion de l’Parti de la justice et du développement (AKP) – le CHP a tenu un meeting intitulé « Défendre la volonté nationale », attirant “des dizaines de milliers” de personnes selon les médias du parti. L’enjeu symbolique était fort : s’implanter politiquement dans une zone jusque‑là acquise à l’adversaire, mobiliser les agriculteurs et la population rurale autour de questions comme les coûts de production ou la crise de l’eau. Le meeting a aussi servi à envoyer un message politique clair : « Vous ne pouvez pas nous faire taire », « Nous sommes le peuple et nous avons raison ». L’accent a été mis sur le “devoir” de résistance face à un pouvoir jugé illégitime. Discours et tonalitéLors de ces meetings, le ton est résolument de confrontation : le CHP se pose en défenseur de la République laïque, de la “volonté du peuple”, de la justice. Le leader du parti, Özgür Özel, a qualifié les poursuites judiciaires contre son parti de « coup judiciaire ».
On note aussi un usage symbolique fort : invocation de la figure de Mustafa Kemal Atatürk, le drapeau turc omniprésent, la mobilisation des masses dans l’espace public, tout cela pour redonner à l’opposition une visibilité qu’elle paraît avoir perdue. —
Analyse : forces, faiblesses, scénariosForcesLe CHP semble réussir à mobiliser un segment important d’électeurs autour de la perception d’une « attaque contre la démocratie ». Cette narration peut élargir sa base au‑delà de ses partisans traditionnels.Le choix de tenir des meetings dans des zones “rouges” pour l’AKP (comme Konya) marque une stratégie offensive et non conservatrice.Le parti dispose d’une figure rassembleuse avec İmamoğlu, ce qui lui donne une crédibilité et un potentiel de leadership à l’échelle nationale.FaiblessesLa tonalité très protestataire et conflictuel du discours risque de séduire une base militante mais de repousser des électeurs centristes ou modérés qui cherchent des solutions pratiques (économie, emploi, santé) plutôt qu’un affrontement permanent. Les mobilisations risquent d’être freinées par la pression institutionnelle (interdictions de rassemblements, blocages, poursuites). Exemple : l’annulation d’un meeting à Istanbul, ou l’interdiction de rassemblements dans plusieurs districts. Le parti semble encore peu visible dans la transformation de cette mobilisation en programme clair et cohérent pour gouverner. Le champ est limité à la dénonciation plutôt qu’à la proposition.ScénariosScénario optimiste : Le CHP parvient à maintenir sa dynamique de mobilisation, à élargir sa base vers les « modérés mécontents », et à transformer l’indignation en votes. Des élections anticipées pourraient jouer en sa faveur si l’AKP est perçu comme en déclin.Scénario de blocage : Le pouvoir réussit à étouffer la mobilisation par des mesures judiciaires ou administratives, le CHP reste cantonné dans l’opposition sans conversion électorale majeure.Scénario de déclin : Le parti s’enferme dans un rôle de protestation sans articulation de projet, perd des électeurs face à d’autres formations plus centrées, et la mobilisation s’essouffle.—
Conclusion: Le CHP traverse un moment critique. Les récents meetings illustrent une tentative de se repositionner comme force de masse, défenseur de la démocratie et alternative au pouvoir en place. Toutefois, le parti doit surmonter deux défis majeurs : sortir de la logique de simple protestation pour formuler un projet attractif pour l’électeur moyen, et résister à la pression constante que lui impose l’appareil d’État.Le sort du CHP dans les prochains mois pourrait en grande partie dépendre de son habileté à convertir l’énergie des meetings en structure politique durable. Pour l’heure, c’est une course contre la montre – entre mobilisation sociale, stratégie électorale et encadrement institutionnel.
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